mercredi 29 janvier 2014

8. gribouillis d'albin



Lui la copie gros-grain, gauche, approximative, double indigent de la silhouette sans visage, anonyme aux mille faces, souple elle s’efface et hop, réapparaît, lui le duplicata lointain d’elle si proche, minuscule, juste un point et la voilà ronde, et puis longiligne, elle sans gras, macache les sentiments, les adverbes, elle sobriété lui la copie balourde, lui le double pataud elle féline, elle qui surprend, ici pleine, là légère et même davantage, faute de mieux on dira déliée, lui le duplicata bavard de ses silences à elle, lui le double lourdaud elle qui danse, lui le flou elle cernée à la serpe, précision mécanique pour elle quand lui ressasse, quand il bafouille bégaie s'empêtre, Albin, reflet cul-de-plomb d'une ombre qui n'en fait qu'à sa tête, lui file le train, le précède, lui colle et l'abandonne, le rejoint, déjà loin, il a beau s'accrocher pas moyen de la suivre, l'ombre vagabonde, un coup la rue, zou sur le trottoir, du trottoir vers le toit, monte-en-l'air pour des prunes, sans chichi du toit au pavé, du pavé en douce dans le caniveau et du caniveau propulsée va savoir pourquoi tout en haut de l'affiche, imprévisible, hors de portée, l'ombre gracile, glissée du mur sur la page blanche, après qui sait. 

dimanche 26 janvier 2014

7. parole d'albin


Ne pas jeter garder le jour ce qu’on aurait écrit la nuit parce qu’on le trouverait bon, pas bon, vrai, juste ou bidon, ne pas trier ne pas choisir, découvrir le matin ce qu’un autre la veille a écrit sur un bureau qui ressemble au sien avec un Meisterstück qu’on dirait, on n'en dirait rien, n’y comprendrait que couic ou tout autre chose que celui qui l’avait écrit hier cherchait à exprimer en vain et ne comprendrait pas lui-même aujourd’hui, qu’est-ce que ça peut bien faire, faut que ça sorte, que ça fuse que ça gerbe, et précisons, quand Albin parle ici de comprendre il veut dire ressentir, être ému, étonné, tourmenté, choqué, perturbé, toutes ces choses qui passent par le cœur, la cervelle et les tripes, les abats en général, ne pas jeter garder ne pas choisir, garder soit en même temps jeter, garder les mots pour mieux les jeter, oui mais lesquels ? ceux qui trouent le plafond, le plancher, l’air et le temps, le cul, le corps entier, il en a fait sa règle, Albin, il en a fait sa règle, manière de parler, d’abord tous ses mots trouent, sans exception, les mots dézinguent, tous, les mots réduisent les choses à ce qu’elles sont, rien du tout, anéantissent plus que Ravachol ou Bonnot, mordent et déchirent, froissent les dentelles, défrisent le drapé, déplissent la pierre, déroulent le point, annulent la fin, malmènent le début, le monde et son ordre, libèrent, emprisonnent dès qu’ils libèrent et libèrent dès qu’ils emprisonnent et puis surtout, il n’a fait sienne aucune règle ou quoi que ce soit, Albin troué, vu qu’il abandonne, vu qu’il oublie, Albin gruyère, sa langue et sa cervelle criblées font plaisir à voir, oublie tout sauf qu’il est terrassier et qu’il faut que ça circule ? même pas, ça non plus ne s’en souvient pas, à quoi bon ! ça vient tout seul, comme l’escargot bave Albin creuse, Albin pioche comme il chie, ouvre sa bouche à tous les vents, garde et jette  les mots, tous les mots que sa bouche sa main lâchent, tracent, expulsent, jette et garde les mots, ces mots qui le traversent, garde au loin tous les mots qui par son vide passent.

vendredi 17 janvier 2014

6. du soir au matin


Led Lexman à la main, Albin pour la trente-sixième fois passe devant le rideau tiré de la boulangerie, éclaire la rue déserte, dans la nuit parle d'infini, d'un centre qui est partout quand la circonférence ne serait nulle part, tourne et tourne et recommence, ressasse et remet ça, en rond tourne et scrute, cherche on ne sait qui, ni quoi, quel dieu ou son bureau, un homme ou le septième douillet, quoi ou qui d'autre encore, son ombre, l'improbable simbleau...

Le matin le voit défait. Au réveil Albin ne ressemble à rien. Tant bien que mal se glisse dans la peau à peine repassée de l'Albin d'hier.
Pratiquant l'art extrême de sembler, Albin va jusqu'à faire semblant

Le matin prend son thé et des airs. Albin superficiel opte aujourd'hui pour l'air profond. Le Wu Long, 烏龍 en chinois, est ce thé bleu-vert aux saveurs de châtaigne, de noisette et de miel. Une fois par semaine Albin routinier choisit le Wu Long et l'air et la manière de simuler la dissimulation.